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CAN 2021 : LE NOUVEAU RUGISSEMENT DE ROGER MILLA

Avant même le début de la CAN 2022, Roger Milla s’est fendu d’une sortie pour se payer les pays d’Afrique du nord. De quoi ranimer de vieilles rancœurs.

La Coupe d’Afrique des nations 2022 au Cameroun a débuté par une polémique émanant d’un intouchable des Lions Indomptables, figure emblématique du football africain et même tutélaire du football camerounais: Roger Milla. Le vieux lion, avec son franc-parler, a rugi une nouvelle fois après de nombreux remous visant à reporter de nouveau la Coupe d’Afrique des Nations. Une idée de report insufflée par la FIFA et soutenue notamment par le Maroc et l’Egypte:

« Les pays maghrébins, ce sont eux qui mettent toujours le bordel, s’est emporté Milla. C’est eux qui mettent toujours le désordre, je suis désolé. Je vais leur dire ici en tant que leur frère, que ce soit le Maroc, l’Egypte ou autre, que ce n’est pas normal. » 

Une sortie d’autant plus remarquée que Milla est un ambassadeur de cette Coupe d’Afrique des nations qui se déroule au Cameroun actuellement. Depuis, le vainqueur des CAN 1984 et 1988 a rétropédalé et s’est excusé auprès de « ses frères et sœurs, marocains et marocaines ».  Reste que ses propos ont fait grand bruit. Ils ont heurté les uns, été commentés par les autres, autour d’une défiance sous-jacente entre le monde arabe et l’Afrique sub-saharienne, une réalité sociologique et géopolitique qui s’est cristallisée au fil des années autour du football.

Mirabeau Mahop, journaliste camerounais pour Canal 2 International, explique: « Roger Milla est une grande gueule, mais il a dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas! Le sentiment de désamour entre l’Afrique sub-saharienne et le monde arabe existe depuis des années. »

« Il y a un écart de développement important entre l’Afrique Sub-saharienne et le Maghreb »

Pour le géopolitologue Jean-Baptiste Guégan, cela tient en partie aux différences de développement entre ces deux grandes régions: « Il y a un écart de développement important entre l’Afrique Sub-saharienne et le Maghreb, ne serait-ce que sur le plan de la stabilité politique. Quoi qu’on en pense, la démocratie tunisienne, la monarchie marocaine et le régime politique algérien sont des régimes stables, avec des PIB supérieurs au reste du continent. Et cela se traduit en football: les dernières ligues des champions africaines ont été remportées majoritairement par des clubs d’Afrique du nord. »

De quoi créer un sentiment de relative jalousie de l’Afrique dite « noire » vis à vis de l’Afrique dite « blanche ». Etpas seulement, à en croire Guégan: « Comme il y a un écart de développement, il y a de l’immigration du sud vers le nord, que ce soit pour s’installer au Maghreb ou pour transiter vers l’Europe. Et le Maghreb a le sentiment d’une migration économique source de problème. Cela crée un mépris. » Ce mépris, ce manque d’entente peut parfois être cristallisé par le sport et expliquer, en partie, les propos de de Roger Milla.

Il faut dire qu’entre l’Afrique noire et le Maghreb, il y a quelques antécédents restés en travers de la gorge notamment de l’Afrique centrale et de l’Ouest:

Les antécédents entre Monde Arabe et Afrique sub-saharienne

  • 2015: alors que la Coupe d’Afrique des Nations doit se tenir au Maroc, le pays hôte annonce, un peu plus d’un mois avant le début de la compétition, qu’il renonce à organiser l’évènement pour des raisons sanitaires. Le Maroc avait déclaré « ne pas vouloir être l’épicentre de la propagation du virus Ebola ». Finalement la CAN 2015 a été organisée en urgence en Guinée Equatoriale et la catastrophe sanitaire annoncée n’a pas eu lieu. La sensation qui s’est dégagée de ce désistement auprès des populations d’Afrique subsaharienne les plus durement touchées est celle d’une désolidarisation du Maroc vis-à-vis du reste du continent, avec tous ce que cela peut impliquer.    
  • 2017: Ahmad Ahmad est élu président de la confédération africaine de football. Si son statut de Malgache devait le tenir éloigné des dissensions suscitées, il se trouve que ses rapports avec le Maroc étaient étroits et que son mandat aura été perçu, en Afrique sub-saharienne, comme un mandat favorisant l’Afrique du Nord au détriment de l’Afrique centrale et du Sud.    
  • 2018: après l’épisode du refus d’organiser la coupe d’Afrique des nations en 2015, l’Afrique subsaharienne obtenue une revanche au goût amer: le Maroc, en lice avec le binôme Etats-Unis/Mexique pour l’organisation de la Coupe du monde 2026, a vu sa candidature être torpillée, notamment par le vote de nombreuses fédération africaines qui ont tourné leurs scrutins vers l’Amérique du Nord. Une situation qui résulte bien d’une extrême tension entre les pays d’Afrique noire de la CAF et le Maroc, tant la tenue d’une Coupe du monde sur le continent africain au sens large compte aux yeux de tous.
  • 2019: La Coupe d’Afrique des nations, initialement prévue au Cameroun, est finalement déplacée en Egypte. Selon Mirabeau Mahop, « le Cameroun a toujours eu la sensation que le Maghreb a tout fait pour ce report. L’Afrique blanche a toujours pensé qu’elle devait mener le bâton sur le continent notamment dans le domaine des infrastructures, et voir une nation comme le Cameroun se doter de stades et d’une organisation de haut niveau a déplu. » La réalité est probablement moins tranchée: le Cameroun n’est alors, à l’époque, pas tout à fait prêt en termes d’infrastructures.  
  • 2021: Jusque dans les derniers instants, le report de la 33e Coupe d’Afrique des nations a été d’actualité, poussé par la FIFA et les clubs européens et avec un écho auprès des pays du monde arabe. L’Egypte et le Maroc en tête ont fait du lobbying en faveur d’un nouveau report, jusqu’au tour de force de Samuel Eto’o, président de le Fécafoot, qui a imposé la tenue de la compétition grâce en partie au soutien de Patrice Motsepe, président de la Confédération africaine de football.   
  • 2022 Le Maroc établi son camp de base, pour la 33e Coupe d’Afrique des nations, à l’Hôtel Mont Febe de Yaoundé. Mais il ne se contente pas de poser ses valises dans cet hôtel, il en congédie le personnel pour le remplacer par un personnel 100% marocain, vacciné contre le Covid et testé. La délégation marocaine est arrivée avec un avion dédié, contenant de la nourriture pour l’ensemble du séjour, de l’eau potable pour toute la compétition et même ses propres matelas. Des dispositions visant à protéger au mieux le groupe marocain de l’épidémie de Covid mais qui a été perçu comme un affront par le Cameroun, sentant ses capacités d’accueil remises en question. Déjà en 2021, lors du championnat d’Afrique des nations, la délégation marocaine avait refusé deux hôtels – à Limbe et à Yaoundé – proposés par le comité d’organisation, préférant un hôtel de son choix.  

Autant de précédents qui créent une forme de désamour entre l’Afrique subsaharienne et le monde arabe. Des faits qui s’accompagnent de clichés tenaces sur le jeu. Feycal Salah, journaliste pour le chaine algérienne Al24News, définit la différence de football sans détours: « Ce sont deux footballs différents, ce ne sont pas les mêmes qualités. Dans la zone subsaharienne, on se base beaucoup sur le côté physique, sur la vitesse, sur le défi physique, alors que nous au Maghreb, on a ce que l’on appelle le talent, avec des joueurs plus fins, des génies comme Ryad Mahrez en Algérie, Ziyech au Maroc… » Une différence qui ne s’est pas trop vue sur le premier tour.

Pour Jean Baptiste Guegan, auteur d’Une autre explication du monde, il en va aussi d’une erreur de perception. Et derrière le slogan Africa United, il y a une réalité toute autre: « L’absence d’unité de l’Afrique sur le plan sociale, politique, économique est une réalité, l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) ne fonctionne pas! Il n’y a pas d’échange, il n’y a pas, par exemple, de programme Erasmus propre à l’Afrique… On perçoit d’Afrique comme les Etats-Unis perçoivent l’Europe, comme un ensemble. C’est une erreur, il y a de multiples représentations de l’Afrique et des intérêts éminemment divergents. Aujourd’hui la fracture qui existe entre l’Afrique subsaharienne et le Maghreb est similaire à celle qui existe entre l’Europe de l’Est et celle de l’Ouest, ou entre le Mexique et l’Amérique du Nord. »

Le journaliste marocain Jamal Waalam met en perspective les déclarations de Milla: « Je pense que Roger Milla s’est un peu emporté mais c’est un ami du Maroc et du Maghreb. Le Cameroun était sous pression avant cette compétition, et ce ne lui a pas plu que le président de Fédération royale marocaine de football aille un peu dans le sens du président de la FIFA et envisage à nouveau un report. C’est vrai qu’il y a des précédents, on parle là de football mais aussi de politique. Il ne faut pas faire de fixette dessus. Comme partout dans le monde il y a des relations d’amitié et d’inimitié. J’espère que la finale sera Maroc-Cameroun et que Roger Milla sera là avec les deux maillots! » 

Vers une diplomatie sportive de la réconciliation  

Les pays magrébins et le Maroc en tête ont décidé depasser l’éponge sur les différents antécédents qui ont pu créer de la friture sur la ligne entre monde arabe et Afrique subsaharienne. La Fédération royale marocaine a ainsi signé pas moins de 44 partenariats avec d’autres Fédérations africaines, qui visent à favoriser le développement des infrastructures et de l’encadrement du football dans les pays concernés. L’objectif est clair: renforcer les liens avec l’Afrique francophone et en nouer de nouveau avec l’Afrique anglophone qui, naturellement, se tourne plus souvent vers l’Afrique du sud. Mais ces partenariats s’accompagnent d’avancées très concrètes: le Maroc a par exemple accueilli sur son sol de nombreux match internationaux africains. Quand la Confédération africaine de football a jugé les stades de Bamako, Djibouti, Niamey et Ouagadougou non conformes pour les matchs qualificatifs à la Coupe du monde 2022, le Maroc a accueilli certaines sélections concernées (en octobre, Djiboutiens et Burkinabés ont joué à Marrakech, le Mozambique et le Cameroun se sont affrontés à Tanger et les matchs Guinée-Soudan et Mali-Kenya se sont disputés à Agadir). Fouzi Lekjaa, qui a la confiance du roi du Maroc, a compris que sa Fédération devait devenir locomotive du football sur le continent africain, pour exister mais aussi pour espérer l’organisation du Mondial 2030. Opération réussie, pour un responsable de la Fédération sénégalaise, qui nous glisse:

« Le Maroc est devenu un acteur incontournable du football africain, ils sont partout, ils nouent des liens avec tout le monde. Personne n’est dupe, cela servira leurs intérêts à terme mais cela sert aussi l’intérêt général du football africain et c’est ce qui compte. »

Omar Khyari, proche conseiller de Fouzi Lekjaa, expliquait dans le Monde du 1er octobre 2021: « Plus que de diplomatie sportive, je pense qu’il faut parler de diplomatie footballistique, parce que tous les efforts sont concentrés sur cette discipline. »

De son côté, le Cameroun met tout en œuvre pour réussir sa compétition et rendre l’évènement agréable pour tous. Que l’on soit d’Afrique de l’Est, de l’Ouest ou le Maghreb donc, pour l’heure, tout le monde salue une organisation réussie de la CAN et l’accent mis sur accueil particulièrement chaleureux des Camerounais à l’endroit de toutes les nations présentes, sans exception. Et si le dérapage de Milla a pu susciter de l’indignation, il permet aussi, dans le cadre apaisé et festif du football, de purger certaines vieilles querelles. 

Les divergences de points de vue existent donc bel et bien entre le monde arabe et les pays subsahariens, elles ne sont pas l’apanage du football et résultent de rapports complexes qui remontent loin dans l’histoire du continent africain ; des tensions nécessairement renforcées par les périodes de colonisation connues par l’ensemble du continent. Et pourtant, il semble que si le football peut parfois cristalliser ces tensions, il pourrait aussi être la clé de l’apaisement. 

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